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en beauté dans cette gigantesque création, son âme, fervente toujours, effleurée déjà par l’inquiétude.

Les parts n’y sont pas égales, de l’inspiration mystique et de l’inspiration naturaliste. La première est plus apparente, la seconde est plus profonde.

La Cathédrale gothique est dans la nature et selon la nature par son amoureuse imitation des formes végétales, où elle trouve sa forme générale, par son antipathie pour les angles droits, pour les lignes violemment brisées, par cette sorte d’ivresse avec laquelle on sent qu’elle respire la lumière et l’ombre. La merveille, c’est précisément cette sorte de confusion passionnée du plus cérébral des arts avec la nature. Jalousement, il veut rester seul devant elle, seul à jouir d’elle : il n’y a guère de place, dans l’architecture gothique, que pour l’architecture elle-même.

Cet évidement des constructions, ce principe en vertu duquel les vides l’emportent sur les pleins, ce tissage de l’air, ces prodigieuses dimensions des fenêtres déconcertent les maîtres-verriers, et, nous l’avons dit, la défaillance des murs exclut à peu près la participation des peintres à la décoration de l’édifice. Si l’architecte sollicite encore le concours des sculpteurs, et si même leur collaboration prend, dans l’œuvre gothique, une importance extraordinaire, ce n’est, peut-on dire, qu’un accident sublime, dont nous devons le bénéfice au grand élan que les sculpteurs romans avaient donné à leur art. Mais la sculpture s’emploie désormais à la décoration surtout des parties extérieures de l’église. La force d’expansion, qui, dès l’Âge précédent, avait partagé les trésors de l’art entre l’intérieur de l’église et ses dehors, l’emporte ; elle n’est plus contre-balancée par l’esprit de recueillement, de concentration des artistes romans. Il n’y a plus d’intimité profonde dans cet édifice inondé de lumière, il est forain, les bruits extérieurs y retentissent. Et le vent, ce « vent violent qui souffle du sol », dit très bien M. Enlart, agite, retourne vers en haut les feuillages des crochets, des chapiteaux. Le bruit, le vent, la lumière, la couleur de l’air naturel : la Nature — de plus en plus fidèlement copiée à mesure qu’on avance dans le XIIIe siècle — dispute le sanctuaire à l’Évangile. Ce sont toujours, pourtant, les rites de la religion des larmes qu’on célèbre ici, les prêtres et les artistes accomplissent toujours et longtemps encore accompliront leurs fonctions dans une parfaite communion de pensées ; mais le théâtre du drame lui devient chaque jour plus étranger. Les fresques ne sont plus là pour rappeler aux fidèles le sens surnaturel du mystère, pour offrir à leur piété les formes hiératiques de la tradition. L’œuvre des sculpteurs,