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exécuter pour eux, à la sublime Ève nue, qui était sculptée à l’une des portes latérales de Saint-Lazare d’Autun, ou à cette figure de la luxure, étonnante de fougue et d’audace, placée au jambage gauche de la porte principale du portail de Charlieu, ou à la Visitation, ou à la Nativité de la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, ou au tympan de la porte méridionale de Saint-Sernin, ou à celui du portail septentrional de Saint-Étienne de Cahors ?

On peut hésiter, devant cette étourdissante profusion de chefs-d’œuvre, à préciser des préférences, et nous ne donnons ces brèves indications que, précisément, pour suggérer au lecteur cette étonnante abondance des œuvres statuaires romanes ; il en trouvera aisément l’énumération et la description dans les livres spéciaux[1], mais c’est surtout aux œuvres elles-mêmes qu’on voudrait l’adresser. Ces figures tombales, ces statues, ces bas-reliefs, presque tous mutilés, gardent pourtant une vérité et une beauté ineffables ; ils sont étonnants de vie profonde. Le génie inventif et le goût ornemental, nulle part, et pas même en Grèce, ne se sont affirmés avec une plus exubérante richesse et selon de plus belles proportions qu’en France, à cette date. Les artistes qui ont fait tout cela étaient de grands observateurs et des exécutants d’une science absolue. Ils vivaient dans la familiarité de la nature, tantôt la copiant avec une pieuse fidélité, tantôt se permettant d’inventer selon ses lois et comme elle crée. C’est ainsi qu’ils ont osé ces ornementations végétales d’un si hardi et si juste sentiment décoratif, ces chapiteaux dont personne ne sait le nombre et dont quelques-uns des plus beaux sont à Notre-Dame-du-Port, à Saint-Nectaire, à Mozac, au Puy, à Saint-Benoit-sur-Loire, à Fontevrault, à Chantelle, à Saint-Menoux, à Noirlac, à Neuvy-Saint-Sépulcre, à Déol, à Beaulieu, à Gargilesse, à Moissac, à Souillac, à Saint-Etienne de Toulouse… L’esprit s’effare à l’évocation de cette immense moisson d’œuvres. Quand on se souvient que beaucoup d’entre elles ont été arrachées aux églises et sont aujourd’hui disséminées dans les musées et dans les collections particulières, que les incendies, les tremblements de terre, les guerres, les révolutions, les restaurations, le temps en ont détruit bien plus encore, on se demande comment, matériellement, cette production infinie a été possible, comment dans le même temps le même pays a pu réunir tant de sculpteurs, pleins de talent et quelques-uns de génie. Et dans le même temps le même pays ne comptait plus ses grands architectes,

  1. Citons une fois de plus l’Histoire de l’Art, tomes I, II et III, de M. André Michel, à laquelle nous faisons dans ces pages de fréquents emprunts.