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antique) où l’on représente le « Mystère » tragique de la Rédemption. Drame unique et quotidien, sans spectateurs, car tous les assistants y jouent un rôle et le dialogue s’échange entre eux et le prêtre. Au sens de ce ballet sacré de la messe, au décor qui lui convient, les races du Nord apportaient une intelligence sérieuse et un goût de splendeur sévère admirablement appropriés. — Quand l’œuvre d’art intérieure, spirituelle, sera composée dans toutes ses parties et pour ne plus varier, alors elle débordera l’enceinte de l’église, elle se répandra sur les murs extérieurs. C’est comme un homme qui, après avoir longtemps réfléchi, la tête basse, les traits fermés et ne laissant lire que l’effort d’une réflexion dont il connaît seul l’objet, relèverait enfin la tête, ayant trouvé la certitude qu’il cherchait, et nous montrerait sur son visage l’épanouissement de sa pensée.

Peut-être, toutefois, l’œuvre architecturale des Barbares, leur œuvre personnelle, fut-elle plus complète, ou plus compliquée que nous ne le faisons entendre. Nous ne savons presque rien des églises de bois qu’ils édifièrent, et il serait imprudent de nous en rapporter à la représentation que nous en donne la célèbre tapisserie de Bayeux. Il est certain, du moins, que les Barbares, dans ces constructions, obéissaient à des principes et employaient des procédés inconnus de l’antiquité classique, puisqu’elle n’a pas utilisé le bois dans son architecture. Ce que ces églises de bois ont dû avoir d’original, c’est peut-être dans les églises de pierre élevées plus tard par les mêmes Barbares qu’il faut le chercher, encore qu’ils se fussent alors mis à l’école des Anciens : comment croire qu’ils eussent, pour acquérir des connaissances nouvelles, absolument oublié leurs propres traditions ?

Comme l’a dit admirablement Courajod, et bien qu’en ce point sa divination ne se fonde sur aucune preuve rigoureusement scientifique, c’est à leurs habitudes de travailleurs du bois qu’il faut demander le secret du grand esprit de découverte que manifestèrent les constructeurs de nos Cathédrales romanes et gothiques. Même après avoir appris l’art de la construction en pierre, ils continuèrent à penser en charpentiers. C’est dire qu’ils restèrent dans la nature, dans leur nature ; ils puisèrent dans ce sentiment de la nature — et aussi dans l’idée mystique qu’ils interprétaient, si différente de l’idée polythéiste — l’énergie de résister à la leçon romaine, dans le choix des formes.

« Il reste incontestable, écrit M. André Michel[1], que l’architecture du

  1. Histoire de l’Art. Conclusion au tome premier.