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Je veux comprendre !

… Et les heures ont passé. Je pars, épuisé de mes efforts, inquiet…

Mais le soir, je reviens. J’admire, et il me semble que je pourrai mieux préciser les motifs de mon admiration, maintenant qu’il n’y a plus de soleil sur l’Ange. Je suis dispos comme un bon ouvrier ; ma tâche est de comprendre, et je rassemble dans ce but toutes mes forces. Je contemple.

Et toujours le miracle m’éblouit. Cette fierté ! Cette noblesse ! L’Ange de Chartres est comme un oiseau perché sur l’angle de quelque haut promontoire ; comme un astre vivant dans une solitude, rayonnant sur ces grandes assises de pierre. L’opposition est vive entre ce Solitaire et les foules assemblées sous le portail, où tout est comblé de figures sculptées et mouvantes.

Je me rapproche encore, puis je recule, vers la gauche, tâchant de mettre au point la beauté de cet être adorable… Par intervalles, je comprends.

Sa tête paraît comme une sphère ailée. Ses draperies sont admirables de souplesse, surplissées sur des tuniques.

Quel cadre lui font les puissants repos des contreforts !

Du haut de sa solitude il regarde avec joie la ville dans une attitude d’annonciateur.

Il porte l’heure sur sa poitrine, et s’offre de profil, le corps effacé, glissé comme une feuille d’acanthe.

Que ce corps est chaste ! Ce n’est pas la Samothrace, qui, voluptueuse, se montre nue sous le voile plaqué, collé, des draperies. Ici, la modestie règne. Le vêtement commente austèrement les formes, sans toutefois les priver de leur grâce ; mais il faut un grave motif pour qu’une jambe, un bras avance et fasse saillie.


L’Ange est un point dans cet immense soubassement, comme une étoile dans le firmament encore obscur. Il a un profil pieux, plein de sagesse. Il apporte la Somme de toutes les philosophies. L’heure se marque sur lui comme une sentence sur un livre. Avec quel recueillement il tient et nous montre cette heure, qui blesse et qui tue !