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Mais, au delà de la facture, il y a le sujet, la pensée exprimée. Dans le choix des sujets, dans l’expression des pensées, l’art primitif chrétien manifeste une personnalité forte. C’est un art tout abstrait, sans doute, sans plastique, presque, et tout en idées : est-ce un art ? C’est du moins un procédé tout voisin de celui de nos artistes contemporains, quand, le soir, à la lampe, après la journée faite, ils fixent des plans, esquissent des projets, au crayon ou à la plume, se réservant d’exécuter plus tard les œuvres, se contentant d’indiquer la pensée et le sentiment. L’artiste des catacombes ne vit-il pas dans un soir éternel ? Les modèles lui sont refusés, car ces pâles ombres qui errent autour de lui, ou qui s’immobilisent dans la prière, n’ont plus rien des lignes animées et des tons chauds de la vie. Son spectacle est en lui, dans ses souvenirs et ses espérances, dans les images que la parole des prêtres impose à son imagination, dans la méditation constante de la mort et de l’immortalité. Voilà ses thèmes. Il les exécute à la lampe, lui aussi, et les moyens dont il dispose l’amèneront à les formuler en symboles.

Mais, par ces inventions symboliques, il collabore déjà, puissamment, à la construction et à l’ornementation de la Cathédrale : elle en vivra ; et c’est la part de cet artiste sans nom dans le grand œuvre que les siècles vont élaborer.

Dès cette première heure, nous voyons le génie mystique nouveau et le vieux génie oriental s’associer étroitement dans une activité féconde, qui correspond également aux besoins du premier et aux préférences du second. Le goût passionné du symbole rejoint par le christianisme l’orient à l’occident. Parfois même, le christianisme et le paganisme se confondent dans un hétérodoxe amalgame, dont les fresques mithriaques sont les plus caractéristiques témoignages.

Le christianisme, du reste, comme nous l’observions, s’approprie sans scrupule tout ce qui lui convient dans les richesses poétiques thésaurisées par son adversaire ; il procède à ce choix avec autant d’habileté que d’audace. En baptisant Psyché, en substituant le Bon Pasteur au personnage d’Orphée, il fait preuve d’une merveilleuse faculté d’accommodation. D’autres fois, sans rien dérober, en adaptant seulement à sa pensée de l’au-delà les interprétations de la nature dont les maîtres grecs lui avaient laissé d’admirables modèles, sur cet éternel thème, par exemple, des Saisons, « universel symbole de la vie et de la mort, qui pour les chrétiens doit éveiller l’idée de la résurrection promise »[1], il donne à son tour

  1. André Michel, Histoire de l’Art, t. I, Les Commencements de l’Art chrétien en Occident, par M. Pératé.