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« Le peuple ne voyait pas ces envahissements d’un mauvais œil », poursuit Beugnot, « il trouvait dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales : le combat n’y avait jamais été admis ; l’appel y était reçu ; on suivait le droit canonique, qui se rapproche, à beaucoup d’égards, du droit romain ; en un mot, toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on était certain de les obtenir dans les cours ecclésiastiques. »

C’est-à-dire qu’en face de la société féodale, contre elle, avec l’appui de la monarchie, l’Église provoquait un état moral nouveau. Le peuple y pouvait espérer plus de justice, plus de liberté, plus de bonheur. Comment ces bienfaits ne l’auraient-ils pas enchaîné par la gratitude et surtout par 1 intérêt à la maîtresse qui les lui prodiguait, en outre des promesses éternelles ?

Ce sont précisément ces biens « dans le temps » que figurait, au regard des multitudes, la Cathédrale, et c’est aussi dans ce sens qu’elle était la Maison du Peuple. Synthèse de toute une civilisation, la régulatrice de la vie mystique dispensait aussi la dignité et sauvegardait la sécurité de la vie sociale.

Le peuple savait donc qu’il travaillait pour lui-même en concourant à l’accroissement de la puissance ecclésiastique, en multipliant les églises. Ce n’est donc pas contre la tyrannie monacale que s’insurgeaient les bâtisseurs de Cathédrales. — D’ailleurs, la collaboration du clergé et du peuple à ces grandes œuvres est irrécusablement établie. « MM. Anthyme Saint-Paul et Enlart ont montré que les moines comptèrent parmi les propagateurs les plus zélés du système nouveau [l’architecture gothique] ; et M. Émile Mâle, que le programme encyclopédique et iconographique dont s’inspirèrent les imagiers resta fidèle et subordonné aux enseignements des docteurs et des clercs[1]. »

Toutefois, les constructeurs et les imagiers, du moins dans la période gothique, sont des laïcs ; l’église était donc la Maison du Peuple pour une autre raison encore et sans doute la meilleure de toutes : c’est qu’elle était l’œuvre du cœur et des mains du peuple. Il construisait sa Maison. Comprend-on qu’il l’aimât ? Il lui donnait son temps, son industrie, tout son génie, toute sa fantaisie, et mieux encore, il en faisait le sanctuaire de son âme, le reliquaire de ses traditions, l’image réduite et magnifiée à la fois de son pays, dont la faune et la flore fournissaient à l’édifice tant d’éléments de décoration.

  1. André Michel, Histoire de l’Art, tome I.