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« Où voyons-nous », dit Viollet-le-Duc[1], « les grandes Cathédrales s’élever à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe ? C’est dans des villes telles que Noyon, Soissons, Laon, Reims, Amiens, qui toutes avaient, les premières, donné le signal de l’affranchissement des communes ; c’est dans la ville capitale de l’Île-de-France, centre du pouvoir monarchique, Paris ; c’est à Rouen, centre de la plus belle province, reconquise par Philippe-Auguste. »

Mais faut-il conclure, avec l’auteur cité, que les Cathédrales sont nées de ce désir même d’affranchissement bien plutôt que de l’inspiration religieuse, qu’elles ont procédé d’un développement de l’esprit politique plutôt que d’un développement de l’esprit catholique ? Personne aujourd’hui ne s’en aviserait. L’esprit catholique et l’esprit politique ne faisaient qu’un, au XIIIe siècle. Il faut consentir que le moyen âge ait été clérical, — au sens précis que ce mot devrait garder en dehors et au-dessus des polémiques électorales, — qu’il ait été éduqué par l’Église, gouverné par les prêtres. La pensée ecclésiastique fut, presque sans partage et pendant des siècles, la pensée nationale de notre pays. Loin de chercher à s’affranchir de l’Église, les hommes du moyen âge, jusque vers la fin du XIIIe siècle, ne trouvaient qu’en elle un recours contre les abus de l’autorité séculière ; de son côté l’Église eut toujours une tendance très marquée à déborder son domaine propre, le spirituel, à s’immiscer dans les affaires temporelles. Ce sont les seigneurs féodaux qui sont en querelle avec elle, ce n’est pas le peuple. Et cependant, ces mêmes seigneurs, par une inconséquence qu’expliquent sans l’excuser des vues d’intérêt immédiat, encourageaient l’Église à se mêler des choses du temps, en exigeant des évêques et des abbés leur concours matériel, en hommes, en armes et en argent, à des expéditions entreprises pour l’extension des domaines féodaux ou pour leur défense. Quand le clergé renonça aux mœurs militaires et, faisant cause commune avec la monarchie, prit parti contre les seigneurs, « il commença par étendre au delà de toutes limites sa juridiction, qui d’abord avait été toute spirituelle »[2]. Il prétendait avoir, en vertu du pouvoir que Dieu lui a donné, le droit de prendre connaissance de tout ce qui est péché, et par conséquent, puisque toute contestation judiciaire peut prendre sa source dans la fraude, de juger tous les procès. Il faut se placer au point de vue moderne pour trouver ce raisonnement mauvais ; les contemporains le trouvaient bon :

  1. Dictionnaire raisonné d’Architecture.
  2. Beugnot, Institutions de saint Louis.