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a commencé de se faire jour, — par des efforts individuels, auxquels ni l’Académie ni l’Université ne prennent part, — l’erreur altère encore l’enseignement officiel, et jusqu’en 1857 il se rencontre un homme comme Beulé, qui pourtant n’est pas dénué de tout mérite, pour dire : « Cette architecture [gothique] qui ignore les proportions idéales, la pureté des détails et les lignes d’une perfection que l’on dit parfois divine, prétend-elle exprimer Dieu par la force du désordre et sans le secours de la beauté ? »

Désespérément, pendant presque tout le XIXe siècle, les champions de la romanisation résistent (ont-ils désarmé tous ?) à la faveur que, cependant, l’art gothique est en train de reconquérir, sinon dans le grand public, du moins auprès d’une élite, considérable de toutes les manières. Ils n’ont rien oublié des griefs rabâchés depuis deux cents ans par leurs maîtres, et ils les rabâchent à leur tour avec un pitoyable courage. C’est toujours son désordre qu’on reproche au plus ordonné des arts, et son incohérence. On s’y acharne, la cause est devenue comme personnelle à tous les professeurs brevetés d’esthétique ; ils sentent leur responsabilité, ou celle de la doctrine à laquelle ils s’inféodent, dans les crimes commis contre l’art à la fin du précédent siècle et qu’aggravera tout le XIXe, hypocritement, sous couleur de restaurer les œuvres mutilées, et ils veulent avoir raison !

De leur côté, les partisans du moyen âge le défendent sans transigeance, l’archéologie française se constitue, et c’est comme une religion nouvelle ; les savants qui la fondent ont la ferveur de véritables néophytes. Et il leur fallait bien toute cette ardeur, tout cet enthousiasme pour triompher de leurs opiniâtres adversaires.

Quatremère de Quincy, que nous n’avons pu éviter de nommer déjà, savant de poids en son temps, qu’on a trouvé léger depuis, l’auteur d’un abondant Dictionnaire historique d’Architecture, qui fit autorité et qu’on néglige maintenant pour d’autres et meilleurs ouvrages du même ordre, est le type accompli de ces défenseurs sans mandat de l’antiquité que, du reste, n’attaquait personne. Vitet ne craignit pas de se mesurer avec ce professeur.

Vitet est à peu près oublié aujourd’hui, et il devait l’être parce qu’il a négligé, pour cause, de donner à ses écrits cette parure qui est une armure d’immortalité, le style. Ce n’en fut pas moins un excellent esprit, honnête et ferme, épris de beauté, plein de bon sens dans l’exposé de ses convictions, plein de ressources dans la discussion, un inépuisable et parfois profond inventeur d’arguments.