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blesser l’orthodoxie chrétienne de tous les siècles, et sans doute aurait-elle stupéfié ou indigné un saint Thomas d’Aquin ou un Vincent de Beauvais ; mais en quoi contrarie-t-elle profondément les conclusions de nos archéologues ? S’ils s’accordent à reconnaître pour un très important facteur, dans le problème des origines de l’Ogive, l’influence orientale, comment les doctrines religieuses et philosophiques, voire occultistes ou ésotériques, de l’Orient, seraient-elles étrangères à cette forme de l’architecture, quand nous savons si pertinemment que l’Orient s’exprime toujours par des symboles, et que toutes les formes dont on peut lui attribuer la paternité constituent une véritable écriture, sont les signes plastiques de synthèses abstraites ? Une telle systématisation ne répugne point du tout, en outre, à l’esprit du moyen âge, si curieux lui-même du sens secret des choses et qui avait hérité de la période chrétienne des Catacombes le goût passionné du symbole. Que le symbole oriental de l’Ogive ait changé de signification en passant en Occident, c’est certain, puisqu’en tout cas il n’aurait jamais pu avoir cette signification, et en fait, il ne l’a évidemment jamais eue pour les chrétiens ; qu’il ait eu, primitivement et dans son berceau, le sens proposé par Lenoir, ce n’est pas impossible. Le système qui attribue à toutes les religions une origine unique recevrait là une confirmation de plus. On sait que les chrétiens eux-mêmes virent dans les cultes anciens, étrangers à celui des Hébreux, une déformation de la révélation première.

Est-ce donc le seul emprunt qu’aurait fait, consciemment ou non, le christianisme aux religions de l’Inde, de l’Égypte et de la Grèce ? Ne s’est-il pas approprié partout, dès le lendemain de l’Édit de Milan, les objets décoratifs des temples et même les représentations de dieux et de déesses, pour les accommoder aux besoins de son culte, faisant des Jésus, des Vierges, des saints et des saintes, avec des statues de Jupiter, d’Hermès, d’Apollon, de Vénus, de Minerve ? Du jour où il eut compris l’utilité liturgique et cultuelle de l’art, a-t-il refusé le bénéfice de la science et des traditions puisées par ses artistes dans les ateliers des maîtres païens ? A-t-il même, ce qui est plus grave, hésité à faire des analogies, que très lucidement il percevait entre ses propres dogmes et les mythes grecs, eux-mêmes dérivés des mythes égyptiens et hindous, autant d’arguments pour son apologétique ? Joseph de Maistre a écrit : « Quelle est la vérité qui ne se trouve pas dans le polythéisme grec ? » Les chrétiens des premiers siècles ne pensaient pas autrement, sur ce point, que Joseph de Maistre.

Pourquoi dès lors s’indigner que Lenoir prétende reconnaître, dans une