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iconoclastes et rendu vaine la restauration elle-même, cette pire des offenses que le présent puisse faire au passé. Par exemple, Notre-Dame de Paris, quatre fois insultée depuis le XVIIe siècle jusqu’à nous, a reconquis son jubé, son maître-autel, ses stalles, son chœur admirable, ses gargouilles, — qui ne sont pas celles de Viollet-le-Duc, — son portail central, ses vitraux, sa rose, les ornements primitifs de sa façade méridionale…

Je n’exagère qu’un peu, bien qu’une telle reconstitution, purement idéale, demeure le privilège de quelques initiés ; leur nombre augmente sans cesse, et la vérité, en se généralisant grâce à l’enseignement synthétique, dont les initiateurs font chaque jour de nouveaux disciples qui deviennent à leur tour des maîtres, engendrera un sentiment plus précieux, plus noble même que le respect du passé. Non seulement nous n’aurons plus à déplorer les outrages — hypocrites : la restauration, — et violents : la démolition, dont nos Cathédrales souffrent encore à cette heure, mais le retour à des principes certains, éternellement susceptibles d’applications nouvelles, suscitera les énergies créatrices.

Pour en rester au point de vue archéologique, sans doute fera-t-on encore des monographies analytiques ; elles sont nécessaires, car il s’en faut que toutes les provinces de l’univers gothique nous soient complètement connues. On peut pourtant dire que ce point de vue strictement archéologique est dépassé. Les écrits les plus spéciaux se ressentiront, sans méconnaître leurs limites, de l’orientation désormais synthétique de la pensée moderne en ce domaine.

Depuis que le moyen âge a cessé d’être pour les historiens — dans ce voyage qu’ils faisaient naguère encore, à travers l’océan du passé, selon des voies fixes — une sorte de continent de nuit entre ces deux terres de lumière, le monde romain et la Renaissance, depuis qu’on sait à n’en plus pouvoir douter que ces quatorze siècles tant calomniés ont ardemment cherché et bientôt abondamment produit la beauté, leur beauté propre, la révolte contre la vieille pédagogie classique est devenue générale. Convaincus que l’humanité ne s’est jamais radicalement démentie, nous ne croyons ni forfaire à la gratitude ni risquer de nous égarer en plaçant auprès des maîtres d’Athènes, dans le Panthéon de notre admiration, les maîtres de Chartres et de Reims. S’ils ont réalisé, les uns et les autres, des chefs-d’œuvre, ils ne peuvent manquer d’être profondément d’accord, puisqu’ils ont, à des dates et sous des climats différents, obéi, les uns comme les autres, aux mêmes lois, à celles qui partout identiquement régissent les jeux