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LE CHÂTELET EN BRIE
(Notes sur la route.)


Quelle joie profonde pour l’homme d’âge de résumer sa vie en vivant l’admirable !

Et ils sont tous admirables, les aspects de la nature. Il suffit d’aimer pour pénétrer leur secret. Une seule pensée amoureuse, l’amour de la Nature, a défrayé ma vie.


Trois puissances sont en lutte sur la route : le vent, le nuage, le soleil. Vent et nuage sont des accumulations de jalousie et de violence contre le seul soleil, et je sens autour de lui la mauvaise disposition de ces deux ennemis.


Sur un fond pâle de soie grise et bleue, les arbres d’hiver étendent leur broderie. C’est un état d’affliction !… C’est le printemps pourtant.


Ces arbres tantôt se noircissent comme un bois, tantôt s’espacent, s’éclairent. Spectacle pour qui ? Pour personne… Pour un seul qui passe sur la route. La route elle-même est embellie de voiles.


Au loin, les arbres qui la bordent se ramassent en noir : c’est un bois. Les nuages ardoisés, grisaillés et mouillés, nous obligent à rentrer, à fouler la majesté de cette route : voie triomphale des piétons et des bouviers.


Un instant, le soleil s’est éloigné de la route. Mais il revient et je le sens respirer derrière moi. La route brille et s’éteint selon le caprice des nuages sombres ou clairs. C’est un jour tacheté, brillant comme de l’argent, style Louis XIV.


Ce village dans le soleil à ras de terre…


Maintenant le ciel est noir et la terre pâle et blonde. Le soleil jette un sourire blanc, et les arbres, les lierres frémissent.