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l’exécution de figures décoratives comme celles qu’il a sculptées au fronton de la Bourse de Bruxelles, Rodin, cherchant la solution de certains problèmes d’art et de technique, s’avisa d’étudier comment les Gothiques situaient leurs rondes-bosses ou leurs hauts-reliefs aux côtés des portes et dans les voussures des Cathédrales. On le sait, jusqu’à cette heure il ne s’était que faiblement intéressé aux ouvrages décriés des vieux tailleurs de pierres. Et voilà qu’il venait, encore sceptique à demi peut-être, les consulter, dans une intention précise, avec l’expérience de nécessités spéciales : alors ses yeux s’ouvrirent. Cet art dédaigné, c’était le grand art. Tous les secrets de la sculpture de plein air, les Gothiques les possédaient. Ces recherches d’enveloppe et de modelé, ces sacrifices des détails aux lignes générales, cette double adaptation de la figure décorative au monument qu’elle décore et à l’atmosphère où elle baigne avec le monument, — ces humbles artisans, dont se moquaient les professeurs, avaient senti et raisonné, et réalisé tout cela. Comment tailler et situer une figure de telle sorte que la lumière, dont les jeux sont logiques, en respectât toujours la signification et la beauté, ils le savaient, ils l’enseignaient. Et la science s’était ajoutée à leur simplicité sans l’altérer, parce qu’ils avaient tout, peu s’en faut, appris de la nature, en travaillant en plein air, de l’aube au soir des jours de pluie ou de soleil. Une certitude qui valait la sérénité égyptienne, une dignité sensible plus émouvante que la majesté générale des Grecs, une mobilité contenue, réglée et en conséquence harmonisée par le rit, surtout cette forte unité spirituelle variée par l’étude réaliste de la nature, voilà ce que le jeune artiste admirait désormais dans l’art gothique. En se rappelant les critiques dont les pharisiens de l’École croyaient accabler cet art merveilleux, il aurait pu répéter pour son compte ce cri d’Ingres, quand il s’affranchit de ses premiers maîtres et découvrit l’art vrai : « Comme ils m’ont trompé ! »

Ce n’est pourtant que bien plus tard, environ quinze ans après l’Âge d’airain, six ans après le Baiser, qu’il produisit ces figures de plein air expressives et décoratives, les Bourgeois de Calais : ce sont des figures gothiques, égales aux plus belles.

— Est-ce à dire qu’elles renient les parfaits modèles grecs ?

— Les imagiers de Chartres auraient pu travailler aux frises du Parthénon.

Par cette œuvre, Rodin s’était élevé au plus haut point où il lui fût alors possible d’atteindre. Elle inaugurait la plus magnifique phase de sa vie. Sans se soucier du public, qui refusait de le suivre, s’appuyant sur le degré gravi pour