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définition qu’Alfred de Vigny a laissée de lui-même — entrevit les principes qui apparentent l’art de la Renaissance à celui des Primitifs, non point par un progrès, mot qui n’a point de sens en art, et plutôt, comme Rodin lui-même l’a écrit, par une « déclinaison ». Car la vérité a été dite par ceux qui ont parlé les premiers.

Mais à la pleine conscience de ces principes il ne devait atteindre que lentement, par ce développement de proche en proche qui est la loi de sa pensée. Lentement, avec une patience passionnée, durant cinquante années d’amour et de travail, il aura l’une après l’autre écarté les erreurs entassées par les siècles de pédagogie classique, s’éclairant aux lueurs qui dessinent, à travers le crépuscule de ces siècles, la voie de la vérité, — et telle est sa mission.

Nous n’avons pas à refaire l’histoire de ces erreurs, si souvent mêlées, du reste, aux plus belles vérités, et illustrées des plus glorieux noms. Ne nous laissons pas suspecter, toutefois, d’ingratitude envers tant d’éblouissants génies qui de Ghiberti ou de Donatello à Rude, font l’honneur des temps modernes. Michel-Ange, pour ne nommer que lui, est un titan, et l’on a peine à se défendre de voir dans son œuvre le geste qui somme le passé et qui ouvre dans l’histoire du monde une phase nouvelle. Entre son art, pourtant, et celui des Grecs, qu’il adorait, quelle différence ! Et quelle différence, encore plus sensible, entre les formes grecques, qui éludent l’inquiétude, et les formes égyptiennes, qui affirment la sérénité ! L’art égyptien exprime toute la vie dans une immobilité apparente ; l’art grec réduit le mouvement à un minimum qui lui permet d’éviter les particularités individuelles des attitudes pour chercher le caractère durable des types ; l’art de Michel-Ange traduit la structure des corps en termes de mouvement : tout l’art moderne a varié sur ce dernier thème, exagérant maintes fois ou dépassant jusqu’à l’exaspération ou au désordre le principe de la mobilité. Les Allemands pourront dire qu’il a ainsi donné une forme expressive à la doctrine du perpétuel devenir : rien n’est, tout se transforme ; en conséquence de ce principe, les modernes figures statuaires traversent, sans jamais s’y arrêter, quelque station de la destinée. Peut-être cette mobilité infinie les rend-elle plus émouvantes, plus immédiatement accessibles à notre sensibilité nerveuse et fiévreuse ; mais qui ne voit qu’elle les diminue ? Qui oserait égaler aux affirmations de l’art statique de l’antiquité ces productions dynamiques d’un art qui cherche au dehors, par la profusion des gestes, une force dont le secret n’est pas en lui ? La musique pas-