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n’est qu’une face de ce Janus Geminus humain dont le mysticisme est l’autre face. À peine l’une des deux faces a-t-elle brillé dans la lumière, elle se détourne vers l’ombre pour laisser l’autre à son tour s’illuminer.

Nous sommes les témoins d’une telle conversion, à cette heure de l’art français.

Les peintres impressionnistes, tandis que les savants, comme nous l’avons dit, retrouvaient l’art du moyen âge, ont conduit à son dernier terme ce mouvement du retour à la nature qui signifiait, à la fois, un recours à l’une des deux grandes sources de la beauté, — l’autre source étant la Tradition, ce visage humain de la Nature, — un réveil du génie national et enfin une réaction contre l’esprit d’individualisme et de dispersion, un premier signal de rassemblement.

Leur œuvre est accomplie. Elle fut bienfaisante. Ils ont ramené l’art au respect, à la religion de la vérité visible, déchiré les voiles que l’erreur académique avait tissés entre le regard du peintre et la réalité, enrichi la palette, doté l’art de ressources nouvelles ou oubliées, rafraîchi la vision, renouvelé l’expression. Accomplie, leur œuvre est finie.

Et aussitôt le Janus Geminus montre son autre visage.

Le mouvement idéaliste est plus lent à se déterminer que ne le fut le mouvement sensualiste, parce qu’il est plus important. Il y a plus de trente ans que, dans tous les arts, il se manifeste, et, bien qu’il compte déjà des noms et des instants admirables et de notables groupes, — César Franck et ses disciples, en musique, Paul Gauguin et les siens, en peinture, Villiers de l’Isle-Adam, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé et les poètes symbolistes, — il n’a pas encore suscité dans le public cet intérêt passionné, unanime, qui annonce les grandes époques.

Le public est mal préparé à comprendre ces profondes évolutions. Très en retard sur les producteurs, dont son éducation le sépare, il semble subir encore la pédagogie classique, académique, comme en témoigne, par exemple, le goût qu’il montre, dans les salons, pour la peinture anecdotique ou officielle. Il a pendant longtemps résisté à l’impressionnisme, exactement comme, soixante ans plus tôt, il résistait encore à l’art gothique retrouvé. Il fait le même accueil à l’idéalisme renaissant, et il a laissé mourir dans l’obscurité, presque, les maîtres que nous venons de nommer. C’est une des pires douleurs des instants de transition, comme le nôtre, que la vérité s’y élabore, au profit seulement de l’avenir, sans l’aveu de la foule des vivants.