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forte trame de ce parallèle. Il y a, là, mieux qu’une vue ingénieuse, il y a la vérité. — Nous y ajouterons cette indication encore : l’art gothique est intimement uni à la grande force prépondérante de son temps, l’Église ; l’art impressionniste, en un autre temps, s’unit aussi a la force régnante : la Science. Autre différence apparente qui conclut aussi à une profonde ressemblance intime, à la persistance de cet esprit de souplesse et d’opportunité où l’on ne peut refuser de reconnaître un signe essentiel du génie français dans son expression artistique.

C’est donc bien ce génie, comme nous l’annoncions par une conclusion anticipée, le génie français qui témoigne, à six cents ans d’intervalle, de sa constance et de sa vitalité. Voilà, livré à son instinct, libéré de toute contrainte, ce qu’il rapporte d’une assidue fréquentation de la nature : la découverte de lui-même ! Il se retrouve presque tel, sous des dehors nouveaux, qu’il s’était connu tant de longues années plus tôt.

Non pas tout à fait tel, pourtant. Deux traits de ce caractère français, que nous avons essayé de définir et en qui nous avons noté le sens de la tradition, combattu ou équilibré par de périodiques consentements à la nouveauté, et de puissantes aspirations idéalistes, gênées souvent ou, peut-être, heureusement refrénées au cours de périodiques aussi et ardentes crises de réalisme, — ces deux traits mêmes, le sens traditionnel et l’aspiration idéale, le gothique les chercherait vainement chez l’impressionniste.

L’impressionnisme est étranger à toute culture qui ne soit technique. Il consiste, même, pour une part, en sa révolte contre l’enseignement du passé, qui lui est parvenu, il est vrai, travesti par les écoles et les académies, mais qui dans sa pureté lui eût été tout aussi antipathique et, du reste, inutile. Il fait, véritablement, table rase du passé. Il répudie ce souci principal de la composition qui jusqu’à lui passa pour une condition première du grand art et qui sera peut-être, après lui, rétabli dans cette dignité. L’impressionniste ne fait pas de tableaux, à proprement dire, il ne transpose pas, il ne choisit même pas : il n’intervient pas, se contentant d’offrir à la nature un miroir et déniant à l’esprit le droit de collaborer avec elle. C’est, sans doute, cette sorte d’abdication de l’homme dans son œuvre qui rapproche du savant l’artiste impressionniste. Cet art et la science moderne ont bien, l’un comme l’autre, leurs origines dans la pensée du XVIIIe siècle. Trébuché par la science du poste d’honneur, qu’il croyait le sien, au sommet de la nature, l’homme perd en elle sa personnalité et non pas seulement sa royauté ;