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que nous notions plus haut ; l’intérêt de sa réalisation dépasse le point de vue où nous nous plaçons, et c’est à l’avenir de la société, dans toutes les voies de son activité, qu’elle importe : mais en art, surtout, il faudrait fermer les yeux aux clartés de l’évidence pour ne pas voir le bénéfice immense de la réunion.

Si le peuple ne comprend plus les chefs-d’œuvre de l’art, c’est que les artistes vivent séparés de lui. N’étant plus dans le secret de ses instincts, ne l’aidant plus à démêler, à connaître, à formuler ses obscurs désirs, ils font des œuvres qui ne rejoignent pas sa sensibilité, qui ne suscitent pas son intelligence. Cette intelligence reste inculte et cette sensibilité meurt. Le peuple n’estime plus que l’adresse manuelle et la force brutale. Privé des joies supérieures, il n’éprouve, devant ces statues, ces bas-reliefs, ces moulures, amoureusement amenés par ses ancêtres, des ouvriers comme lui, à la vie harmonieuse, qu’une sorte de jalousie furieuse et il goûte à les briser une satisfaction abominable, qui s’explique, hélas !

Ne nous dissimulons donc point, par un optimisme imprudent, l’énormité de la tâche qui certainement s’impose, comme le plus essentiel des devoirs, aux esprits soucieux des intérêts et de l’avenir de l’humanité. C’est à l’effacement des distances entre les diverses catégories intellectuelles, à l’harmonie de leurs différences, à l’association de leurs forces, à leur équilibre dans une collaboration universelle, c’est, enfin, à la constitution d’un nouvel état collectif des consciences, que tous les hommes de bon sens et de bonne volonté doivent, car l’œuvre est urgente et elle est vaste, s’employer sans retard ni partage. Tâche énorme, répétons-le, tâche formidable ! Tâche inévitable. Elle exige le concours de toutes les activités. Il n’est permis à personne de s’y dérober, par la modestie non plus que par l’indifférence. Précisément parce que personne ne sait sur quelles bases le pacte d’union pourra se conclure, personne n’a droit au repos tant qu’elles n’auront pas été trouvées. Ce pacte sera l’œuvre des générations vivantes, ou leur jour n’aura pas de lendemain.

Le problème se réduit pour nous, ici, aux proportions seulement des destinées de l’art. Mais, selon chacun des plans où elle s’engage en vertu du droit de ses facultés supérieures à leur plein exercice, l’humanité se projette tout entière, et l’art est par excellence l’un de ces plans. Il n’est pas, dans notre domaine, une province de loisir où nous nous délassions des soucis de la vie. Ceux-là mêmes qui pensent y fuir leurs propres passions et leurs inquiétudes ne tardent pas à le déserter s’ils n’y retrouvent, dans l’image de ces mêmes passions et de ces mêmes