Page:Audoux - Marie-Claire A Villevieille, édition Philip, 1913.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
MARIE-CLAIRE

redoutait toujours un malheur, et c’est à peine si elle souriait quand les autres riaient aux éclats.

La vieille Bibiche croyait toujours que je m’endormais. Elle venait me tirer par la manche pour m’emmener coucher. Son lit était à côté du mien ; elle chuchotait sa prière en se déshabillant, et elle soufflait la lampe sans s’occuper de moi.

III

Aussitôt après la moisson, elle me laissa aller seule au champ avec sa chienne. Castille s’ennuyait avec moi, elle me quittait à chaque instant pour retourner à la ferme près de sa vieille maîtresse.

J’avais beaucoup de peine à rassembler mes agneaux, qui couraient de tous côtés. Je me comparais à sœur Marie-Aimée quand elle disait que son petit troupeau était difficile à gouverner ; et cependant elle nous rassemblait d’un coup de cloche, ou elle obtenait le silence en grossissant un peu la voix ; mais moi, j’avais beau grossir ma voix ou faire claquer mon fouet, les agneaux ne comprenaient pas, et j’étais obligée de courir comme un chien autour du troupeau.

Un soir, il se trouva qu’il m’en manquait deux. Chaque soir, je me mettais en travers de la porte pour n’en laisser entrer qu’un à la fois ; ainsi je les comptais facilement.