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Mon paradis était sur la terre, et maintenant qu’il est fermé je n’ai plus envie de vivre.

Ce soir, je vais mourir.

Le soleil a l’air de s’en aller se coucher tranquillement, et la haute cheminée d’usine balance sa fumée vers lui comme pour lui dire adieu.

Depuis un moment, il me semble qu’un petit animal étrange est venu se loger dans l’endroit le plus profond de mon cœur, je le vois, et je le sens ; il ne cesse de frémir et de trembler comme s’il avait peur et froid, et toujours il creuse plus avant comme s’il espérait trouver un endroit chaud où il pourrait se blottir pour longtemps. Mais il ne fait plus chaud dans mon cœur et tu peux fouiller avec tes fines griffes, petit animal tout blanc et lorsque tu auras pénétré au fond même de ma vie, tu continueras à frémir et à trembler tout comme les feuilles des peupliers qui frémissent parfois, sans qu’on sache d’où vient le vent.

Maintenant le jour descend, et je marche de la porte à la fenêtre sans me lasser ; il me semble que ce n’est plus moi qui agis et qui pense, et pendant que je marche dans ma chambre à peine plus longue que mon lit, je m’entends dire tout haut :

— Ma peine est apaisée !

J’en éprouve un soulagement, et je m’arrête près de la croisée.

Le soleil est parti, et il ne reste plus que le rose du couchant sur la haute cheminée d’usine.

J’appuie mon front contre la vitre, et j’écoute ma voix qui reprend :

— Ma peine est apaisée.

Et comme si ma peine était devenue tout à coup une personne vivante, je la reconnais dans la fumée de la haute cheminée, elle a un visage blanc avec des yeux larges et pleins d’ombre ; elle s’éloigne en se traînant un peu, et par instant elle se courbe, comme si elle voulait se coucher sur les toits.

Mais, voici qu’une chauve-souris commence à tournoyer devant ma fenêtre ; elle vole comme les papillons en soulevant ses ailes l’une après l’autre, et elle fait des crochets si brusques que je crains toujours de la voir tomber.