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murs en étaient peint de couleurs délicates. Il n’aimait pas à y rester enfermé cependant. Et lorsque son cabinet de travail ne le réclamait pas, et que le mauvais temps l’empêchait de sortir, il se tenait dans un retrait du grand vestibule, d’où il pouvait voir tout ensemble par la baie vitrée, le ciel, le jardin et la vallée de la Seine qui s’étendait au loin. Il aimait aussi à marcher d’un bout à l’autre de la galerie qui élargissait sa maison. Ainsi, il lui semblait qu’il était encore dehors.

On eût dit qu’il n’était à l’aise qu’au milieu de grands espaces. Selon lui, son jardin manquait d’étendue, et sa maison était beaucoup trop resserrée. Parfois lorsqu’il y entrait, il avait un mouvement violent des épaules, comme s’il eût voulu, d’un seul coup, en reculer les murs.

Dans les derniers temps de sa vie il ne put résister au désir de la faire agrandir. Et comme je m’en étonnais en disant qu’elle était déjà très grande, il me répondit bourru et comme en colère :

— Une maison n’est jamais trop grande.

La laideur lui apportait la même souffrance que l’injustice.

— Tout ce qui est laid est méchant, disait-il.

Il critiquait sans mesure, mais il ne se montrait pas plus satisfait de lui-même que des autres. Jamais il ne trouvait ses actes assez nobles, assez purs, et toujours il restait inquiet de ce qu’il avait dit ou fait, avec le regret de n’avoir pas dit ou fait mieux.

Une grande partie de son temps se passait à lire les manuscrits qu’il recevait de tous côtés. Et un jour, que quelqu’un le plaignait de la fatigue que devait lui apporter une pareille occupation, il répondit aussitôt :

— Il le faut bien, car dans le tas, il peut y en avoir un bon.

Et, à ce moment-là, toute la générosité qui était en lui, apparut dans son regard.

Il était sensible à toute affection, mais il désirait surtout être aimé des pauvres.

« Vous l’êtes, lui disais-je. »

Il réfléchissait une minute, puis sa lèvre se retroussait de façon ironique :