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CE QUE JE SAIS DE LUI


Je le trouvais en haut du chemin où il aimait à attendre et voir venir ses amis. Les deux mains tendues, il s’informait d’abord de ma santé, puis il ouvrait la barrière verte de son beau jardin, et tout de suite il m’entraînait par les allées.

— Venez voir mes fleurs.

Nous allions lentement d’une touffe de fleurs à l’autre pendant qu’il m’expliquait de quel endroit il les avait fait venir, et quels soins elles exigeaient. Les rosiers grimpants, surélevés, encerclés et formant d’énormes bouquets placés de-ci de-là sur la pelouse, attiraient et retenaient le regard. Mais c’était surtout vers les fleurs rares que Mirbeau s’attardait pour m’expliquer leur origine. Je ne pouvais retenir leurs noms compliqués, pour la plupart. Il s’en étonnait :

— C’est que vous n’aimez pas les fleurs, disait-il.

Et il souriait avec une indulgence pleine d’ironie.

Quand fleurirent les pavots, ce fut comme une plus grande fête dans le jardin. Il n’y en avait que quelques pieds, mais ils étaient si hauts et si touffus qu’ils paraissaient garnir à eux seuls toutes les plates bandes. Les rouges surtout avaient un éclat si éblouissant qu’ils semblaient plutôt des morceaux de soleil tombés dans la verdure et restés accrochés aux tiges. Des boutons plus gros que le poing, laissaient échapper comme à regret une soie brillante et frippée, tandis que les fleurs épanouies étalaient de larges pétales d’un rose à peine