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admettre, en effet, que Paris ait une âme, cette âme est complexe, diffuse, nombreuse, située un peu partout. Dès lors, elle existait pour une part dans la Brasserie de la rue des Martyrs.

Une remarque à faire, en passant : tous les arts ont pénétré de plein pied dans ce hall, la musique exceptée. À cette époque, encore un peu austère, on était loin du temps ou les tziganes devaient venir des provinces danubiennes pour s’emparer de Paris. Non seulement le maître de la Brasserie avait interdit l’entrée de son établissement aux instrumentistes, au violon, à la flûte, à la harpe, à la guitare et au tambour de basque, mais le tintamarre qui retentissait entre ses murs en avait écarté jusqu’au plus hardi des croque-notes. Assurément Hector Berlioz ne se serait hasardé en cet antre inharmonieux pour rien au monde. Même sentiment d’effroi pour tous les autres disciples de Mozart et de Beethoven.

À ma connaissance, un seul musicien de profession avait eu le courage de se faufiler parmi ces Chorybantes si en désaccord avec l’euphonie. En dépit du nom qu’il portait, celui-là était un Parisien pur sang, un infatigable faiseur de romances pour jeunes filles. Son succès l’avait rendu célèbre dans les deux faubourgs et, par conséquent, chez les marchands de musique ; seulement ces derniers, afin de lui donner plus de relief, l’avaient obligé à s’italianiser. Il avait