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cembre. Ils buvaient, ils fumaient, ils jouaient aux dominos, aux cartes, au jacquet, aux échecs. Quelques-uns dessinaient au crayon. D’autres lisaient aux oreilles complaisantes de la prose ou des vers, surtout des vers. Il y en avait quelques-uns pour critiquer la pièce en vogue ou pour analyser le roman du jour ; mais, sauf sur une table, celle des beaux esprits dont j’aurai à parler un peu longuement, parce que c’était la plus importante, ils avaient décidé de faire taire les ressentissements politiques. « Nous n’avons qu’à prendre patience, disaient-ils : le temps est pour nous. »

Mais quel étrange spectacle que cette longue salle ! Imaginez une kermesse de Hollande à laquelle on aurait soudé la Cour des Miracles, mais sans femmes. Évoluaient là, par groupes, cent types divers et partant pareils ; cent figures barbues, dont plusieurs très belles ; cent pipes fumantes ; cent paires d’yeux, jeunes, allumés par l’esprit gaulois, animés par le plaisir d’être ensemble, tout pétillants de gouaillerie. Pour donner une idée de ce tableau, il aurait fallu ressusciter Jacques Callot avec les deux Teniers et leur dire : « Reproduisez ce grouillant assemblage, si vous pouvez ». On eût ensuite demandé à Gavarni la légende, mais à la manière caustique de Thomas Vireloque. Mais comment décrire avec une plume cet étonnant mélange de dépenaillés héroïques et d’illustrations de demain ? Et leurs pro-