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ferait pâlir ceux du père Ingres. Ainsi je ne vous demande que deux minutes, pas plus, pour faire ce que dans le commerce de l’imagerie, on appelle : le Napoléon des architectes. »

Pour lui obéir, on regardait donc ; on voyait alors le poète si sarcastique, — un Martial plutôt qu’un Horace, — sans quitter des lèvres sa cigarette, tremper sa plume dans l’encre (il y avait encore des plumes d’oie à cette époque), et la promener d’un air inspiré sur une petite feuille de papier blanc. Il commençait par formuler un rond parfait, une sorte de pleine lune. Avec un sérieux de glace, il y ajoutait de chaque côté, à droite et à gauche, un double appendice, c’est-à-dire les deux oreilles. Les yeux, le nez, la bouche, une petite mèche en manière de virgule coupait le front, et c’était tout.

Chose curieuse, cette grotesque et naïve improvisation finissait par être ressemblante. Rien que d’un coup-d’œil on reconnaissait dans cet essai, fini avec tant de hâte, la face numismatique du conquérant. Il n’y manquait plus qu’une date et une légende pour être un mascaron à coller à un palais ou à une médaille à couler en bronze, en argent ou en or.

Tous les assistants étaient émerveillés.

Quant à moi, j’éprouvais un étonnement qu’il ne m’était pas possible de taire.

« Eh ! sans doute, disais-je, c’est bien Bonaparte, mais c’est encore plus le comte Léon. »