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m’abstiendrai de vous donner une description du reste ; ça n’a aucun rapport avec mon histoire.

J’avais bu beaucoup d’eau-de-vie pendant la journée, et je continuai à boire pour m’étourdir sur ma triste situation ; en effet, j’étais seul sur une plage éloignée de toute habitation ; seul avec ma conscience ! et, Dieu, quelle conscience ! Je sentais le bras puissant de ce même Dieu, que j’avais bravé et blasphémé tant de fois, s’appesantir sur moi ; j’avais un poids énorme sur la poitrine. Les seules créatures vivantes, compagnons de ma sollicitude, étaient deux énormes chiens de Terre-Neuve : à peu-près aussi féroces que leur maître. On m’avait laissé ces chiens pour faire la chasse aux ours rouges, très-communs dans cet endroit.

Il pouvait être neuf heures du soir. J’avais soupé, je fumais ma pipe, près de mon feu, et mes deux chiens dormaient à mes côtés ; la nuit était sombre et silencieuse, lorsque, tout-à-coup, j’entendis un hurlement si aigre, si perçant, que mes cheveux se hérissèrent. Ce n’était pas le hurlement du chien ni celui plus affreux du loup ; c’était quelque chose de satanique. Mes deux chiens y répondirent par des cris de douleur, comme si on leur eût brisé les os. J’hésitai ; mais l’orgueil l’emportant, je sortis armé de mon fusil chargé à trois balles ; mes deux chiens, si féroces, ne me suivirent qu’en tremblant. Tout était cependant retombé dans le silence et je me préparais déjà à rentrer lorsque je vis sortir du bois, un