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Ils rappelaient à Jean des figures oubliées, le père Plisson, son fils Alexis, le grand Moulin, qui n’avait pas de menton, les parties de manille au petit bistrot de la rue des Écluses Saint-Martin. Jean n’aimait pas évoquer ce passé sur lequel il ne voulait pas revenir, ne pouvait s’empêcher de s’intéresser à ces deux maçons. Il les trouvait beaux avec leurs ceintures de flanelle rouge enroulée plusieurs fois autour des reins, leurs amples cottes de velours d’où émergeait le double mètre en bois plié. L’enfant ne perdait aucun de leurs mouvements et aurait voulu travailler avec eux, gâcher le mortier, tenir le fil à plomb, manier la truelle dans le ciment onctueux, poser le niveau d’eau.

— En somme, pensait Jean, être un ouvrier pendant le travail, ce n’est pas désagréable, au contraire, ce qui est moche, c’est d’être un ouvrier quand le travail est fini.

À onze heures, les maçons s’asseyaient au bord de la route et tiraient de leurs musettes, avec du gros pain, du pâté et du saucisson, du fromage et un litre de vin. Jean en avait l’eau à la bouche, et acceptait d’eux, en cachette, un rond de saucisson ou un coup de vin à la bouteille. L’après-midi, pendant la grande chaleur, ils mettaient les bouteilles au frais, buvaient beaucoup, transpiraient de même et la sueur roulait en gouttes sur leurs figures comme la pluie sur une vitre pendant une averse.

Afin qu’ils ne puissent croire qu’il les surveillait à être toujours près d’eux, Jean aurait voulu leur dire que son père avait été maçon et qu’il serait, lui aussi, plus tard un ouvrier. Il ne savait pas que s’il l’avait dit, il aurait perdu à leurs yeux tout son prestige de fils de bourgeois en vacances, car les ouvriers maçons de Vesoul avaient le respect et l’admiration de la richesse, que tout ouvrier bien pensant doit avoir.

André était rentré à Paris depuis le 15 septembre pour se présenter à l’école professionnelle rue des Epinettes, puis le 31, ce fut le tour de Jean que Thérèse avait gardé jusqu’au dernier moment. « Quinze jours de vacances en plus, c’était toujours autant de pris sur l’ennemi », disait-elle, et Jean se demandait, sans oser l’interroger, quel était cet ennemi.

Sur le quai de la gare de Vesoul, ils attendaient le train,