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— Qu’est-ce que tu veux faire, toi André, plus tard ?

— Je serai ingénieur !

— Et toi Jean ?

— Je ne sais pas…

André dit, avec sa brutalité habituelle :

— Toi, tu seras un ouvrier !

Le cœur de Jean se serra et il répondit avec une petite voix qui faisait prévoir des larmes :

— Oui, je serai un ouvrier. — Il se mit à pleurer doucement.

— Oh, quelle fille ! dit André en s’asseyant dans son lit, ennuyé de l’avoir blessé et dédaigneux de ses larmes.

— Ben quoi, tu le sais bien puisqu’après ton certificat tu vas entrer en apprentissage, alors c’est pas la peine que tu pleures. Et puis, est-ce que c’est de ma faute ?

— Allons, laisse-le, dit Thérèse, ne lui dis plus rien. Jean sait bien que si les ingénieurs sont utiles, les ouvriers le sont encore plus.

Sa mère l’appelait, elle descendit.

Quand André fut endormi, Jean pensa longtemps. Il était pris d’une grande tristesse. « Oui, je serai un ouvrier ». Il savait ce que cela voulait dire, il les connaissait assez les ouvriers. C’étaient ceux qui s’arrêtaient au bistrot, le soir, et que les gosses allaient chercher pour le diner. C’étaient ceux qui portaient des habits raccommodés, des chemises sales, des grosses godasses, ceux dont les poches étaient pleines de tabac émietté, ceux qui sentaient la sueur et le vin, c’étaient ceux qui n’avaient jamais assez d’argent pour finir la semaine.

Paul Normand, l’oncle d’André, qui devait acheter une auto pour aller porter et chercher le travail chez les ouvrières des villages éloignés, faisait construire un garage dans le jardin. Deux maçons vinrent y travailler, et Jean, attiré, passa tout son temps près d’eux, les mains dans les poches, à les regarder.

Les ouvriers suspendaient à un clou, à l’ombre, leurs vestes bleues et leurs musettes d’où sortait le col des bouteilles, et travaillaient en sifflant, la chemise ouverte sur leurs poitrines poilues.