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Pour avoir la paix, il convint qu’un bain ne faisait pas de mal, mais se rhabilla avec une telle rapidité que Thérèse éclata de rire.

— Tu es content que ce soit fini, hein ! Tu verras demain que tu n’auras plus peur.

Il lui jeta un coup d’œil furieux, elle le narguait sûrement, elle avait l’intention de recommencer demain ! Et André qui avait l’air de trouver naturel d’être nu devant une femme ! Il n’y eût rien à faire pour qu’il regardât dans la glace comme il était beau quand il était propre et bien coiffé, et quand Thérèse fut partie, il résuma son sentiment par ces mots : « Tu parles d’une barbe. »

Jean s’imaginait volontiers, comme tous les enfants, que le monde avait commencé le jour de sa naissance et n’écoutait jamais sans impatience les grandes personnes parler entre elles d’un temps où il n’était pas encore. La vie nouvelle qu’il menait à Frotey, dans cette famille aisée où l’argent ne semblait pas avoir une importance extraordinaire, ce qui l’étonnait toujours, lui donnait des idées nouvelles.

Ce n’était pas sans mélancolie que Jean acceptait la compagnie des vieux meubles de sa chambre, de son confortable lit de grand’mère, des portraits démodés de parents morts que l’on avait relégués dans cette mansarde pour ne pas encore les mettre au grenier. Tout lui rappelait, le soir avant de dormir, et la nuit quand il s’éveillait inquiet, ne sachant plus où il était, cherchant à repérer les murs et la fenêtre, qu’il n’était qu’un passant, non seulement dans cette chambre, mais aussi dans la vie.

Cette atmosphère bourgeoise, conservatrice des traditions et des souvenirs de famille qui forçait Jean à comprendre le passé, le remplissait de tristesse et parfois de malaise. Au contraire, quand il était dehors, jouant avec André sur le plateau aride qui dominait la maison et la vallée, il s’arrêtait parfois tout joyeux au milieu d’un geste, se disant :

— Je vis, j’ai du sang dans mes veines, je n’ai que dix ans, j’ai encore longtemps à vivre.