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sait lever par force ; il lui reprochait s’il n’avait pas honte que six mille hommes à cheval l’attendissent devant son logis, et le forçait à être soldat malgré lui ». J’ajoutais que la vérité était connue des catholiques clairvoyants ; que Simon Dubois, lieutenant général à Limoges, dit un jour à de Thou au moment de l’entrée d’Henri III en France, « que bien des gens ne pensaient pas du roi comme le commun », et que les espérances qu’on avait conçues d’un règne glorieux étaient fondées sur une réputation usurpée. Les protestants n’étaient pas moins bien édifiés. Dans un pamphlet où ils raillent les Polonais d’être venus chercher en France un roi « qui n’a ni l’encolure ni la démarche, ni la façon pour répondre en pas une sorte au rang qu’ils l’ont élevé », ce roi et le tyran « qui n’a jamais pu s’accoutumer à la poudre des batailles » semblent bien être le même homme. M. Bonnefon n’essaie même pas de réfuter cette argumentation. Il n’y oppose qu’une dénégation, qu’il me permettra à mon tour de trouver arbitraire.

Sur le cinquième trait (tout empesché de servir vilement à la moindre femmelette), M. Bonnefon s’en rapporte à M. Villey, lequel remarque que la traduction latine du Réveille-Matin, donnée concurremment avec le texte français, montre le vrai sens de cette phrase. Elle ne veut pas dire que le tyran est incapable d’amour, mais au contraire qu’il est asservi aux femmes. Je répondrai d’abord que la traduction n’a pas été faite par l’auteur, qu’elle est souvent, et spécialement dans le passage qui nous occupe, sensiblement différente de l’original, et qu’en interprétant « tout empesché » à servir vilement à la moindre femmelette par : impudicæ mulierculæ seivitio lotus addictus », le traducteur a bien pu, non seulement amplifier le texte (comme il l’a fait par l’introduction du mot impudicæ), mais encore le fausser. Je me désintéresse d’ailleurs de ce débat philologique[1]. Quelle que soit l’interprétation que l’on adopte, le trait s’adapte à Henri de Valois. Si vous traduisez « tout empesché de servir » par incapable de servir, l’allusion s’adresse à la faiblesse génitale du jeune prince, que toute la Cour connaissait, qu’affirmait l’ambassadeur vénitien Morosini dans une lettre à son gouvernement, en date de septembre 1573[2], et dont le nonce écrivait en 1574 : « Lorsque ce prince faible et luxurieux passe une nuit ou deux avec une femme il reste huit jours au lit. « Si vous traduisez par tout occupé à…, tout absorbé par le soin de…, la qualification s’applique encore à Henri de Valois,

  1. J’ai développé ce point dans le tirage à part de mes premiers articles ; j’en avais envoyé la brochure à M. Bonnefon, en le priant de tenir compte des modifications que j’y avais introduites.
  2. Alberi, Relazioni di Morosini, série I, vol. VI, p. 262.