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texte par Montaigne sont d’ailleurs indépendantes de la question des remaniements. Lors même qu’il n’aurait communiqué aux protestants que le texte même de La Boëtie sans changement aucun, l’entente n’en existerait pas moins ; et par cette communauté d’action avec les révoltés, Montaigne, politiquement, n’en deviendrait pas moins un personnage assez différent de celui que l’on pensait connaître. Or, ce sont les raisons que j’ai apportées en faveur de cette entente que M. Bonnefon vise à peu près exclusivement et qu’il s’efforce de réfuter.

Il m’accuse de paralogisme. De ce que Montaigne était reconnu l’héritier légal des papiers de La Boëtie, j’aurais conclu que seul il pouvait les posséder et en disposer. Je n’ai point raisonné ainsi. L’initiateur de la publication du Contr’un, ai-je dit, peut être Montaigne, détenteur du manuscrit ; ce peut être aussi un publiciste protestant. Et si le texte primitif a, comme nous le dit Montaigne, couru « es mains des gens d’entendement », à l’époque où lui, Montaigne, s’est lié d’amitié avec le jeune Sarladais, nous n’avons cependant aucune preuve, aucun commencement de preuve que ce texte ait été conservé depuis 1557 jusqu’à la Saint-Barthélemy par d’autres mains que celles de l’auteur des Essais. Qu’ai-je conclu de là ? Que Montaigne était certainement celui qui avait communiqué le texte aux réformés ? Nullement. Je me suis borné à constater que le fait de la possession du manuscrit par Montaigne dirigeait inévitablement le soupçon sur lui, qu’il en résultait une présomption, une simple indication, si l’on veut, mais que l’examen des circonstances qui ont précédé la publication pouvait seul fournir les motifs de décision. Si Montaigne a été l’objectif principal de mon enquête, et non les protestants, c’est que ceux-ci n’offraient aucune prise à la recherche. Ils n’ont jamais rien dit du Contr’un ; pour cet écrit, comme pour quelques-unes des autres pièces éditées par eux, il n’existe aucun document pouvant nous éclairer sur leurs sources directes et sur leurs fournisseurs immédiats. Montaigne seul, au XVIe siècle, a parlé du Discours ; lui seul pouvait nous mettre sur une piste, et c’est de lui seul que nous pouvons confronter les paroles aux paroles, les paroles aux actes, les uns et les autres avec les événements. C’est donc vers lui qu’était conduit presque invinciblement l’enquêteur.

Montaigne proteste contre la publication et contre l’usage qu’on en a fait. Mais si l’héritier du manuscrit de La Boëtie eût été convaincu d’en avoir transmis la copie aux révoltés, il était perdu. Sa protestation m’a paru sans autorité, étant inévitable ; elle ne pouvait m’arrêter dans ma recherche. Telle ayant été ma méthode, et ma conclusion finale n’ayant été que l’aboutissant d’une longue