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avant la publication du Contr’un, notre écolier pamphlétaire aurait imaginé (car on ne retrouve rien de semblable dans l’antiquité) le régime des « quatre », des « cinq », des « six », qui « tiennent le pays tout entier en servage au tyran », qui « dressent si bien leur chef, qu’il faut… qu’il soit méchant, non pas seulement de ses méchancetés, mais encore des leurs ». Ce jeune rhétoricien de Sarlat aurait analysé et posé avec la maturité d’un penseur et l’expérience d’un observateur le secret du ressort de la domination, les principaux fondements de la tyrannie. L’invraisemblance confine ici à l’impossibilité.

M. Bonnefon, ayant peut-être conscience de n’avoir pas ébranlé les arguments tirés de la ressemblance du portrait et de l’allusion au règne des favoris, m’oppose sur chacun de ces deux points une date qui lui semble un obstacle insurmontable à mon hypothèse.

Pourquoi, objecte-t-il, en 1574 un pamphlet contre Henri de Valois, roi de Pologne, alors que le tyran régnant en France était Charles IX, l’auteur officiel et directement responsable de la Saint-Barthélémy ?

J’avais répondu d’avance que le portrait du tyran flétri dans les dernières pages d’un pamphlet contre les Valois, auteurs de la Saint-Barthélémy, devait, en 1574, être, non celui de Charles IX qu’on savait mourant et dont on attendait la mort d’un jour à l’autre, mais celui de son frère d’Anjou, roi de Pologne, auteur principal avec sa mère, aux yeux des protestants, de la Saint-Barthélémy, et dont on redoutait le retour en France.

M. Bonnefon affirme que les auteurs du Réveille-Matin ne savaient pas Charles IX malade, du moins aussi malade qu’il l’était réellement, car dans un document dont il cite quelques phrases, ils supplient les Polonais de débarrasser la France du tyran, comme ils l’ont déjà débarrassée de son frère Henri. S’ils l’avaient cru si près de sa fin, dit M. Bonnefon, ils n’auraient pas songé à souhaiter sa déportation. Nous reproduirons plus loin le texte, et il apparaîtra clairement que M. Bonnefon a pris au sérieux ce qui n’était qu’une plaisanterie ironique. Les protestants, j’entends les hommes d’initiative qui inspiraient leurs écrits satiriques, étaient fort bien informés. Ils connaissaient nécessairement, en mars 1574, l’état de santé de Charles. Tous les historiens de l’époque rapportent que le roi était alors alité ; chacun savait qu’il crachait le sang ; Brantôme, un familier de la Cour, nous apprend que Charles IX, dans les trois derniers mois de son règne, reprochait ouvertement et amèrement à son frère d’Alençon et à Henri de Navarre d’abréger « sa misérable vie », de hâter sa fin par leur hostilité, et de ne pas attendre sa mort pour reprendre les armes[1] ; l’Es-

  1. Brantôme (édit. Lalanne), t, V, page 26.