Page:Argis - Sodome, 1888.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
L’ENFANCE.

tout à fait. Jacques prit congé de ses amis qui voulaient encore l’emmener à « la Tartine » et respira enfin à pleins poumons en descendant le boulevard.

Il prit le trottoir de gauche plus calme.

Une froide nuit de décembre ; une petite pluie fine, l’air anodin, tombait très vite, et Soran, le col de son pardessus relevé, se dirigea rapidement vers la rue du Bac. Il passa devant des « Tartines » où il entrevit encore des femmes dévorantes et des étudiants ivres. Sur le pas des portes, des sergents de ville s’abritent, tandis que, sur l’autre trottoir, les pieds dans l’eau, la tête nue, les femmes déambulent, l’air suppliant.

Jacques entrevoyait toutes ces choses à peine. Par quelle association d’idées, après ce spectacle si gai de tout à l’heure, après avoir vu des gens fêtant, des femmes en liesse, était-il étreint d’une affreuse tristesse ? Il pensait maintenant à la mort : à la mort de son père, à la mort de sa mère qu’il pouvait trouver morte en rentrant, à sa mort à lui, Soran, naissant à peine à la vie. Pourquoi, comme une émanation putride, le dégoût montait-il en son âme ? Pourquoi ce soir-là tout ce que sa courte existence avait déjà eu de chagrin se résumait-il en une grande désespérance d’un avenir se promettant heureux ? Lui