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L’ENFANCE.

pareil homme n’est-il pas mûr pour les plus grands vices, ou préparé pour les plus grandes vertus ?…

Tel était l’état de Jacques Soran, plus triste encore, car le temps ne l’avait pas guéri, et, rarement, il avait été autant découragé que ce jour-là. Il s’était couché fort tard, et l’insomnie le chassait de son lit à cinq heures. Il essaya de lire ; les lignes zigzaguèrent sous ses yeux ; il s’obstina : tout ce qu’il feuilleta lui parut absurde. À bout de ressources, il descendit dans la rue.

À six heures du matin, à la fin de mars, Paris présente un spectacle qui devait frapper Soran peu habitué à sortir sitôt.

En quittant la rue des Prêtres-Saint-Séverin, il prit la rue Zacharie, et se trouva tout de suite sur le quai Saint-Michel. La veille, la neige couvrait la chaussée ; il dégèle : les boueurs achèvent de l’enlever en la jetant à l’égout ; ils sont là, les pieds dans l’eau, les mains dans un bas, poussant leur balai d’un mouvement rythmique de métronome : automates inconscients et insensibles, sans autre souci que de ne pas mourir de faim ; ceux-là sont heureux, se dit Soran.

Devant lui, de l’autre côté de la Seine, l’horrible caserne de la Cité avec son architecture