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L’agence venait de publier au Cap une proclamation qui accordait amnistie à tous les colons et émigrés qui servaient sous les Anglais, s’ils voulaient se rallier à la cause de la France. Cet acte fut envoyé à la délégation qui lui donna la plus grande publicité, dans l’espoir d’amener ceux de la Grande-Anse à l’accepter. Ainsi, tandis qu’on faisait tout pour humilier les hommes qui avaient défendu le territoire de la colonie, pour leur ravir les emplois, les positions qu’ils occupaient, on faisait un pont d’or à ceux qui avaient trahi la cause de la France, qui avaient appelé la Grande-Bretagne, et qui soutenaient sa cause en maintenant l’esclavage des noirs. Certainement, cette amnistie offerte n’eût été qu’un acte très-politique, s’il y avait chance de succès auprès de ces éternels ennemis de la race noire, et si l’on ne se montrait pas injuste envers les défenseurs de la colonie. Mais, dans les circonstances où on le publiait, il ne parut qu’un acte de révoltante injustice.

Pour donner une idée de l’esprit qui guidait les exécuteurs des ordres de l’agence, imbus de ses projets et de ses vues, lisons la lettre suivante adressée par Desfourneaux à Laveaux, dès son arrivée aux Cayes : elle fut écrite le 29 messidor (17 juillet) :


Je viens de passer la revue des troupes en garnison aux Cayes. Les moyens qu’offre cette partie de la colonie ont permis aux chefs de fournir aux troupes l’habillement et l’équipement nécessaires ; aussi la tenue des troupes est-elle belle. La composition de la légion présente un colosse effrayant de force armée entre les mains d’un seul homme qui, au commandement de cette légion, réunit le commandement de Saint-Louis, place forte du Sud, et l’inspection de tous les ateliers du département. Rien n’est aussi dangereux pour la liberté publique et l’autorité nationale, qu’un tel conflit de pouvoirs réunis sur une seule tête. Lefranc, chef de brigade de cette légion, est l’homme que je veux désigner ; sa moralité, l’opinion publique et des plaintes