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lâtres ; ils ont donc été aussi satisfaits que les noirs et les blancs, de la récompense accordée au juste mérite de T. Louverture. Jalousie abominable, double désespoir, tel est l’aspect sous lequel le gouverneur européen faisait envisager les hommes de couleur qui combattaient à Saint-Domingue pour la France, au moment où le Directoire exécutif allait y envoyer de nouveaux agens. Conçoiton bien alors quelles durent être les préventions de ce gouvernement ?

Cependant, après avoir ainsi généralement accusé ces hommes, le même Laveaux, dans la même dépêche, désignait comme les principaux chefs des désordres qui se passaient au Cap, outre Péré et Maucomble, deux mulâtres, — Legris, Binet, Puech, trois blancs, — Pierre Paul et Pierre Antoine fils, deux noirs, — en accompagnant ces divers noms d’imputations particulières ; de ce dernier, il disait : noir ignorant et méchant, se mettant toujours en avant[1]. L’homme le plus dangereux, selon lui, était un autre blanc du nom de Léger Duval, ancien membre de l’assemblée coloniale, et alors juge de paix du canton du Terrier-Rouge.

Ainsi, sur neuf individus, y compris Rodrigue, cinq étaient blancs, deux mulâtres, et deux noirs, désignés au gouvernement français comme étant les principaux agitateurs du Cap : la majorité, comme on voit, était de la couleur privilégiée de Laveaux ; car nous sommes forcé de nous servir de ce terme, malgré l’égalité existante alors dans la colonie, puisque le grand crime des mulâtres était de s’imaginer que l’un d’eux pût être gouverneur. De l’aveu même de ce chef, les hommes de toutes les couleurs pen-

  1. Plus tard, en 1797, Sonthonax lit nommer Pierre Antoine fils, représentant du peuple, parce qu’ il était noir. En 1796, quoique noir, il n’avait aucun mérite aux yeux de Laveaux.