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XXXIV

ÎLES MALOUINES

Chasse à l’éléphant. — Le sucre de M. de Quelen.

Nous nous tenions tous penchés sur la corvette immobile et à moitié engloutie ; nous nous parlions alors à voix basse, sans animation, sans désespoir, mais avec ce sentiment calme de résignation que tout homme de cœur éprouve au sein de l’infortune qui vient de le frapper alors qu’il a tout fait pour la prévenir. Un seul instant venait d’anéantir nos plus douces espérances, un seul instant venait de nous punir de notre bonheur passé ; et moi, qui écris ces lignes, je perdais dans cette catastrophe le fruit de plus de trois ans de fatigues, de recherches et de sacrifices : une collection d’armes et de costumes de tous les pays du monde, mes richesses botaniques, minéralogiques, mes vêtements, mon linge, mes belles collections d’oiseaux, d’insectes, et, ce qui m’était plus sensible encore, douze ou quinze albums dont le double n’avait pas été remis au commandant.

Mais c’est à peine si nous songions alors aux justes regrets qui traversaient notre pensée ; le présent et l’avenir seuls devaient nous occuper, et nous attendions avec anxiété le lever du jour pour juger de toute l’horreur de notre position. Petit à petit, la côte se dessina, nos yeux se fatiguaient en vain à y chercher des arbres, de la végétation, quelque trace du passage ou du séjour des hommes ; plus les objets se dressaient nettement à nos regards, plus le découragement s’emparait