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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

J’arrivais alors sur mes huit ans et j’avais une camarade de mon âge que j’aimais d’une affection enfantine. Des cheveux d’or, des yeux bleus clairs, genre de beauté rare chez nous où les filles brûlées set brunes ont longtemps l’air de garçonnets. On l’appelait indifféremment Ninette, Nine ou bien Domnine du nom de son patron Domnin qui est un grand saint dans le pays.

L’été, on nous laissait aller ensemble hors des remparts de la ville jusqu’à la lisière des champs, ce qui nous semblait être très loin. L’hiver, il m’arrivait de lui donner une aile de raisin pendu, des sorbes mûries sur la paille, et même de mon sucre pour mettre dans son pain de noix.

Un jour Domnine ne vint plus chanter dans nos rondes les chansons qu’elle chantait si bien : « Garde les abeilles. Jeannette, garde les abeilles au pré ! » ni celle du pont de Marseille sur lequel « il pleut et soleille ». Et quand il pleuvait et soleillait, quand, dans un ciel nuageux troué de bleues éclaircies le diable battait sa femme, Domnine n’était plus avec nous pour répéter en chœur l’incantation irrésistible qui force le Dieu à se montrer : « Viens vite, soleil, beau soleil, je te donnerai un rayon de miel ! »

Mon amie Domnine était au lit. Un matin, assis sur le banc de pierre de sa porte, je vis le médecin descendre et je l’entendis qui disait :

— C’est fini, la petite ne passera pas la nuit.

Je compris alors vaguement qu’il m’arrivait un grand malheur. Triste et fiévreux, on me crut malade, et, me dispensant de l’école, on me confia à Peu-Parle, un paysan qui faisait aller le petit