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CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE

à travers bois, par le pavé, le marquis devant, moi derrière, lui sur son cheval, moi dans mes sabots admirant un superbe fusil qu’il gardait constamment en bandoulière.

J’aurais donné je ne sais quoi pour manier un peu ce fusil qui avait des dessins en argent sur le canon et une tête de sanglier sculptée sur la crosse. Mais le marquis ne le quittait jamais : «  Il dort avec !  » disaient les paysans.

Si seulement j’avais pu entendre le bruit que ce beau fusil faisait en partant ! Mais le marquis semblait avoir peur de s’en servir.

Souvent, très souvent même — le pays était alors extraordinairement giboyeux — nous rencontrions un lapin, des perdrix, des cailles. Alors, le marquis épaulait, ajustait… et ne tirait pas. J’avais beau me creuser la cervelle, je ne comprenais rien du tout à la conduite du marquis.

D’ordinaire on faisait le voyage, aller et retour, entre le lever et le coucher du soleil. La fois dont il s’agit, le cheval s’étant déferré, nous nous trouvâmes, à la nuit close, juste à moitié chemin de la ville et du château. Les chouettes poussaient leurs cris dans le noir, le vent faisait gesticuler les branches, et le marquis déclara la route peu sûre.

— Pourtant avec votre fusil ?…

— Tais-toi, gamin, on a vu des voleurs qui volent les fusils !

Il fut décidé que nous nous arrêterions au Logis du Vieil Âne Rouge, chez le frère de ma mère, braconnier de son état, et qui, à ses moments perdus, tenait auberge pour les rouliers égarés.