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aux charges de la commune, et l’on conçoit alors difficilement que les femmes soient éliminées, puisqu’elles ne sont pas exemptes d’impôts.

Invoquera-t-on l’ignorance de quelques-unes ? Nous répondrons alors par un extrait des débats parlementaires, et par quelques arrêts du Conseil d’État.


Lors de la seconde délibération à la Chambre des députés, M. Lenient avait proposé, dans la séance du 5 juillet 1883, d’écarter les illettrés, mais cet amendement n’a pas été pris en considération. (La Loi municipale. Commentaire par Léon Morgand).


Le Conseil d’État a déclaré qu’on ne pourrait écarter un candidat sous le prétexte qu’il serait faible d’esprit ou imbécile (9 décembre 1871), ou qu’il aurait des habitudes d’intempérance (8 novembre 1878), à moins qu’il n’ait été déclaré déchu de ses droits d’électeur par application de la loi du 23 janvier 1873 sur l’ivresse.

Il a fait mieux encore. Il a décidé à maintes reprises que, pour l’éligibilité aux fonctions de maire, on ne saurait écarter un conseiller sous prétexte qu’il serait illettré (2 août 1878, 17 janvier 1879, 6 mars 1885).

Les illettrés, les idiots et les ivrognes peuvent donc faire partie du Conseil municipal, ils peuvent même remplir les fonctions d’officier de l’état-civil. Quelle jolie garantie, en vérité, pour la bonne administration de la commune ! Et l’on se demande vraiment par quelle aberration de l’esprit on reprocherait aux femmes l’incapacité de certaines d’entre elles, alors que les autres peuvent être instruites, intelligentes… et sobres surtout. Mais il paraît qu’être femme constitue un vice rédhibitoire !

C’est d’ailleurs ce qui ressort d’un jugement de justice de paix rendu en 1908, et dont nous extrayons le passage suivant :


Attendu que les lois et décrets régissant les élections politiques ne contiennent aucune disposition permettant expressément aux femmes d’être inscrites sur les listes électorales.

Telle est à peu près l’opinion de M. Armand Bernard, secrétaire général de la préfecture de la Seine, qui, dans un interview du Temps, (29 avril 1908) s’exprimait en ces termes :

Sans doute la loi de 1884 n’interdit pas aux femmes de se faire inscrire sur les listes électorales et de poser leur candidature, mais elle ne leur donne pas non plus ce droit, et le ministère de l’Intérieur a toujours interprété la loi dans un sens contraire aux désirs des féministes.


Il est ainsi des droits qui ne sont ni donnés ni interdits aux femmes ! Bizarre situation faite par la loi qui peut être interprétée, selon les cas, dans un sens large ou restreint. Il suffirait donc qu’un ministre de l’Intérieur adressât aux maires une circulaire relative au vote féminin pour qu’immédiatement tout changeât. Mais le ministre qui oserait cet acte n’est pas encore né !

C’est cependant par une simple circulaire que les ouvriers ont été admis à faire partie du jury… mais le jury est composé d’hommes, et voilà qui explique bien des choses.

Nous ne pensons pas que, sans une loi, les femmes parviennent à prendre part à une élection quelconque.

Nous vous proposons donc d’adopter, pour le transmettre au Parlement, le projet de résolution suivant :

Le Conseil national des femmes françaises émet le vœu :