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À SA MARRAINE

m’en, la poésie dont vous me parlez n’a plus qu’une importance secondaire et si l’on y peut faire avec du talent de fort belles choses, elles s’éloignent trop de l’humanité pour n’être plus après tout que des jeux d’érudits ou même de gens de goût, personnages de bien peu d’importance et c’est n’avoir aucune ambition littéraire que s’adresser à une demi-douzaine de gens de mêmes goûts et de même nation. Moi je n’espère pas plus de 7 amateurs de mon œuvre mais je les souhaite de sexe et de nationalité différents et aussi bien d’état : je voudrais qu’aimassent mes vers un boxeur nègre et américain, une impératrice de Chine, un journaliste boche, un peintre espagnol, une jeune femme de bonne race française, une jeune paysanne italienne et un officier anglais des Indes.

Mais quelle pauvre littérature à mouler désormais pour un poète dans la vieille versification !

Voyez-vous un Tolstoï, un Dostoïewsky, un Balzac, un Zola, et plus loin un Rabelais se bornant à versifier avec un dictionnaire des Rimes. Mais le parangon des poètes français La Fontaine tout classique qu’il fût… je n’insiste pas, tant tout cela est évident.