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CAS DU BRIGADIER MASQUÉ

les mines flottantes, les sous-marins, les flottes redoutables. Il vit les champs de bataille de la Prusse orientale, de la Pologne, le calme d’une petite ville sibérienne, des combats en Afrique, Anzac et Sédul-Bar, Salonique, l’élégance dépouillée et infiniment terrible de la mer des tranchées dans la Champagne Pouilleuse, le sous-lieutenant blessé que l’on porte à l’ambulance, des joueurs de base-ball dans le Connecticut et des batailles, des batailles ; mais au moment où il allait voir la fin de tout cela et ce qu’il avait surtout le désir de connaître, le brigadier remit son masque aveugle et dit avant de s’en aller :

« Canonnier, vous avez manqué l’appel. Vous êtes porté manquant. »

Et à ce moment le trompette sonna la tendre, la mélancolique sonnerie de l’extinction des feux.

Levant la tête avant de regagner sa chambrée, le poète ressuscité vit qu’au ciel les étoiles s’étaient groupées, qui sans se ternir s’effeuillaient en pétales odoriférants, et points d’impact de millions de cris poussés par la terre et le ciel, formaient cette inscription éclatante :

VIVE LA FRANCE !