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CAS DU BRIGADIER MASQUÉ

que vous vous êtes revenu à la vie, il rend muettes toutes les prophéties et grâce à lui, il ne vous est plus possible de connaître la vérité.

Et le canonnier ressuscité suivit le brigadier masqué, ils arrivèrent à l’église des Carmes et prirent le chemin d’Uzès qui menait aux casernes.

Ils entrèrent, traversèrent la cour d’honneur, allèrent derrière les bâtiments jusqu’au parc où s’étant appuyé contre la roue gauche d’un 75, le brigadier se démasqua soudain et le poète ressuscité vit devant lui tout ce qu’il voulait savoir, tout ce qu’il voulait voir.

Dans de grands paysages de neige et de sang il vit la dure vie des fronts ; la splendeur des obus éclatés ; le regard éveillé des guetteurs épuisés de fatigue ; l’infirmier donnant à boire au blessé ; le maréchal des logis d’artillerie agent de liaison d’un colonel d’infanterie attendant avec impatience la lettre de son amie ; le chef de section prenant le quart dans la nuit couverte de neige ; le Roi-Lune flottait au-dessus des tranchées et criait non pas en allemand, mais en langue française :

« C’est à moi de lui enlever la couronne que j’ai donnée à son grand-père. »