Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
LES SOUVENIRS BAVARDS

en tête à tête, vous parliez d’amour, vous n’inspiriez plus qu’une infinie tristesse.

— C’est donc ainsi que va le monde, Chislam ?

— Chislam, ainsi va le monde !

— Et je n’ai plus personne pour me consoler, Chislam, sinon moi-même.

— Personne, sinon vous-même, Chislam.

Ce dialogue mélancolique entre les mystérieux Chislam aurait vraisemblablement duré longtemps encore, si, impatienté, je n’avais frappé très fort contre la cloison qui me séparait de mon voisin, en criant :

— Gentlemen, il se fait tôt ! il est temps de dormir.

Les deux Chislam se turent aussitôt et je tombai bientôt dans un profond sommeil.

Mais, vers huit heures, quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque, réveillé en sursaut, j’entendis que mon voisin avait repris son marivaudage matrimonial avec l’indépendante Olly, celle qui avait été la première dont j’eusse entendu la voix.

Je m’habillai le plus vite qu’il me fut possible et