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LA FAVORITE

tais « Tchaû !… Tchaû !… » Mais la Cichina mit les mains sur les hanches :

« À la couche, Costantzing, à la couche ! Tu n’es pas jaloux de celui-là ? »

Elle montrait la lithographie qui représentait Victor-Emmanuel.

« Ni de celui-là ? »

Elle désignait le mort au milieu de la pièce.

« Alors, tu n’as pas besoin d’être jaloux du mouchu qui s’intéresse à moi. Je fais ce que je veux, tu m’entends, plandrong, ce que je veux !… J’ai eu un roi quand j’ai voulu et des maçons quand il m’a plu et des messieurs, si ça me faisait plaisir… »

Et Costantzing était un botcha, c’est-à-dire un manœuvre, roux et vigoureux, ayant à peine vingt ans et plus orgueilleux de sa Cichina qu’elle n’était fière de sa propre destinée. La jalousie sortit de lui comme l’écume sort d’une vague brisée contre un rocher.

Il se jeta sur sa maîtresse qui, butant contre la civière, la renversa et tomba sur le mort.

Sauvagement, ce rival d’un roi piétinait la favorite par-dessus le cadavre, en fixant d’un air de défi le portrait souverain suspendu à la muraille.