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LE POÈTE ASSASSINÉ

noir et se lamentaient sur la nouvelle terreur. Des dépêches arrivées à midi annoncèrent qu’Aristénète Sud-Ouest, le grand poète nègre d’Haïti, avait été coupé en morceaux le matin même et dévoré par une populace de noirs et de mulâtres ivres de soleil et de carnage. À Cologne, la Kayserglocke avait tonné toute la nuit, et le matin, le professeur docteur Stimmung, auteur d’une épopée médiévale en quarante-huit chants, étant sorti pour prendre le train, car il se rendait à Hanovre, avait été poursuivi par une troupe de fanatiques qui lui donnait des coups de bâton et criait : « À mort le poète ! »

Il s’était réfugié dans la cathédrale et y demeura enfermé avec quelques bedeaux par la population déchaînée des Drikkes, des Hannes et des Marizibill. Ces dernières surtout se montraient acharnées, invoquaient la Vierge, sainte Ursule et les trois rois Mages en plat allemand, sans négliger de donner des coups de poing, afin de se frayer un passage dans la foule. Leurs patenôtres et adjurations pieuses étaient entrelardées d’insultes admirablement ignobles à l’égard du professeur-poète, qui devait surtout sa réputation à l’unisexualité de ses mœurs. Le front contre terre, il se mourait de peur sous le grand saint Christophe de bois. Il entendit les bruits des maçons qui muraient toutes