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LE POÈTE ASSASSINÉ

Ils se mirent à rire. Le plus vieux, qui avait des lorgnons cerclés d’or et dont le ventre saillait hors du pet-en-l’air à la mode, leva les bras en s’écriant :

« Poète ! Est-ce possible ? »

Et les deux autres, plus maigres, s’esclaffèrent en se baissant et en se tenant le ventre comme s’ils avaient eu la colique.

« Soyons sérieux, dit le moine à lorgnon, nous allons traverser une rue habitée par des juifs. »

Dans les rues, à chaque pas de porte, de vieilles femmes, debout comme des sapins dans une forêt, appelaient, faisaient des signes.

— Fuyons cette puterie, dit le gros moine, qui était tchèque de nation, que ses compagnons appelaient le père Karel.

Croniamantal et les moines finirent par s’arrêter devant un grand couvent. Au son de la cloche, le portier vint ouvrir. Les deux moines maigres dirent au revoir à Croniamantal, qui resta seul avec le père Karel dans un parloir richement meublé.

« Mon enfant, dit le père Karel, vous vous trouvez dans un couvent unique. Les moines qui