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LE POÈTE ASSASSINÉ

dirige vers la noble taverne fréquentée par les Borusses qu’afin de m’y soûler en compagnie de ces bonnets blancs et à leurs dépens comme un bon chrétien, bien que je sois juif. »

Le bruit de l’ouragan redoubla, des voix étranges se firent entendre. Le vieux rabbin tressaillit et leva la tête en s’écriant :

« Donnerkeil ! Ui jeh ! ch, ch, ch. Eh ! dites donc, là-haut, vous feriez bien de retourner à vos affaires au lieu d’embêter les joyeux bougres que leur sort force à marcher par de pareilles nuits… Eh ! les mères, n’êtes-vous plus sous la domination de Salomon ?… Ohé ! ohé ! Tseilom Kop ! Meicabl ! Farwaschen Ponim ! Beheime ! Vous voulez m’empêcher de boire d’excellents vins de Moselle avec MM. les étudiants de la Borussia qui sont trop heureux de trinquer avec moi à cause de ma science bien connue et de mon lyrisme inimitable, sans compter tous mes dons de sorcellerie et de prophétie.

« Esprits maudits ! sachez que j’aurais bu aussi des vins du Rhin, sans compter les vins de France. Je n’aurais pas négligé de sabler le champagne en votre honneur, mes vieilles amies !… À minuit, à l’heure où l’on fait Christkindchen, j’aurais roulé sous la table et aurais dormi du moins pendant la