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LE POÈTE ASSASSINÉ

tout perdu. Eussé-je gagné ? personne ne m’aurait rien reproché. Ah ! j’ai la guigne ! Il ne me reste plus qu’à me tuer. »

Et soudain, se dressant, le jeune homme porta un revolver à sa bouche et fit feu. On emporta le cadavre. Quelques joueurs tournèrent un peu la tête, mais aucun ne se dérangea et la plupart ne s’aperçurent même pas de l’incident qui causa une profonde impression sur l’esprit du baron des Ygrées. Il avait perdu tout ce qu’avait laissé Macarée et qui était destiné à son enfant. En s’en allant François sentit l’univers se resserrer autour de lui comme une cellule, puis comme un cercueil. Il regagna la villa où il demeurait. À la porte, il s’arrêta devant Mia qui causait avec un voyageur portant une valise.

« Je suis Hollandais, disait cet homme, mais j’habite la Provence et je voudrais louer une chambre pour quelques jours ; je viens faire ici des observations mathématiques. »

À ce moment le baron des Ygrées envoya de la main gauche un baiser à Mia, tandis que, tenant un revolver de la droite, il se faisait sauter la cervelle et s’abattait dans la poussière.