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LE POÈTE ASSASSINÉ

sérieux imperturbable. Hannès Irlbeck qui s’était relevé non sans peine, renifla en murmurant :

« Il n’y a plus de bière à Munich ! »

Et il répéta, avec l’accent de sa ville natale :

« Minchen ! Minchen ! Minchen ! »

Après avoir levé les yeux au ciel, il se précipita vers un marchand de volailles et lui ayant commandé de rôtir une oie, se mit à formuler des souhaits :

« Plus de bière à Munich… s’il y avait seulement des radis blancs ! »

Et il répéta longtemps le terme munichois :

« Raadi, raadi, raadi… »

Tout à coup, il s’interrompit. La foule des buveurs altérés poussa un cri de satisfaction. Les quatre garçons venaient d’apparaître à la porte de la brasserie. Ils portaient dignement une sorte de baldaquin sous lequel l’Oberkellner marchait raide et fier comme un roi nègre détrôné. Ils précédaient de nouveaux tonneaux de bière qui furent mis en perce au son de la cloche, et tandis qu’éclataient les rires, les cris et les chansons sur cette butte grouillante, dure et agitée comme la pomme