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XLIX

L’AMOUR LE DÉDAIN ET L’ESPÉRANCE


Je t’ai prise contre ma poitrine comme une colombe
qu’une petite fille étouffe sans le savoir

Je t’ai prise avec toute ta beauté ta beauté plus riche que tous les placers de la Californie ne le furent au temps de la fièvre de l’or

J’ai empli mon avidité sensuelle de ton sourire de tes regards de tes frémissements

J’ai eu à moi à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et que tu subissais ma puissance et ma domination

J’ai cru prendre tout cela ce n’était qu’un prestige

Et je demeure semblable à Ixion après qu’il eut fait l’amour avec le fantôme de nuées tait à la semblance de celle qu’on appelle Héra ou bien Junon l’invisible

Et qui peut prendre qui peut saisir des nuages qui peut mettre la main sur un mirage et qu’il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l’azur céleste

J’ai bien cru prendre toute ta beauté et je n’ai eu que ton corps

Le corps hélas n’a pas l’éternité
Le corps a la fonction de jouir mais il n’a pas l’amour

Et c’est en vain maintenant que j’essaie d’étreindre ton esprit

Il fuit il me fuit de toutes parts comme un nœud de couleuvres qui se dénoue

Et tes beaux bras sur l’horizon lointain sont des serpents couleur d’aurore qui se lovent en signe d’adieu

Je reste confus je demeure confondu