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XLV


28 avril 1915.


Jolie bizarre enfant chérie
Je vois tes doux yeux langoureux
Mourir peu à peu comme un train qui entre en gare
Je vois tes seins tes petits seins au bout rose
Comme ces perles de Formose
Que j’ai vendues à Nice avant de partir pour Nîmes
Je vois ta démarche rythmée de Salomé plus capricieuse
Que celle de la ballerine qui fit couper la tête au Baptiste
Ta démarche rythmée comme un acte d’amour
Et qui à l’hôpital auxiliaire où à Nice
Tu soignais les blessés
T’avait fait surnommer assez justement la chaloupeuse
Je vois tes sauts de carpe aussi la croupe en l’air
Quand sous la schlague tu dansais une sorte de kolo
Cette danse nationale de la Serbie

Jolie bizarre enfant chérie
Je sens ta pâle et douce odeur de violette

Je sens la presqu’imperceptible odeur de muguet de tes aisselles

Je sens l’odeur de fleur de marronnier que le mystère de tes jambes

Répand au moment de la volupté
Parfum presque nul et que l’odorat d’un amant
Peut seul et à peine percevoir
Je sens le parfum de rose rose très douce et lointaine
Qui te précède et te suit ma rose